PROPOSITION #10

La démocratie participative : compétences à acquérir pour une citoyenneté active

La volonté de travailler sur la « démocratie participative» a été formulée lors du Forum Ouvert « En 2015, quelles actions et quels projets souhaitez-vous expérimenter au regard des droits culturels ? » organisé dans le cadre de la démarche Paideia, les 26 et 27 novembre 2014 à la Condition Publique de Roubaix.
Dès lors, un groupe constitué d’acteurs sociaux et culturels du Département s’est organisé pour réaliser des études de cas concernant les instances de démocratie participative.
Les enseignements tirés de l’ensemble des cas analysés au regard des droits culturels ont permis d’élaborer cette proposition.
A partir du constat que les systèmes démocratiques étaient multiples et en recherche permanente de leur bonne organisation ou fonctionnement, la question de savoir comment s’acquièrent les compétences nécessaires à la citoyenneté en régime démocratique s’est avéré nécessaire.

« Observer, c’est reconnaître qu’il peut y avoir des expériences significatives partout, qu’il est nécessaire d’aller les recueillir pour les valoriser au mieux. L’observation « interactive » dit un peu plus que « participative » car elle signifie plus qu’un procédé de collecte et de traitement d’informations. C’est une analyse interactive des informations disponibles entre (tous) les acteurs concernés par une activité, quelles que soient leurs fonctions. Ce traitement en commun permet à chacun de partager ses savoirs, ses doutes, ses projets et enfin de contribuer ensemble à leur amélioration ou redéfinition. Chacun, à quelque niveau hiérarchique que ce soit, dans l’institution porteuse et avec ses partenaires, peut ainsi s’approprier l’activité dans sa complexité. Il s’agit d’une mise en pratique des droits culturels, pour tous les acteurs initiateurs et destinataires de l’activité, dans la mesure où chacun est amené à partager et à améliorer ses savoirs dans un respect mutuel. Il ne s’agit pas de viser un climat de consensus général, mais de maintenir et développer des espaces habituels d’interprétation des valeurs de bien commun acceptées par tous, mais avec des évaluations ou pondérations différentes. C’est cette diversité interactive qui fait la richesse d’une équipe, d’une organisation, d’une institution » [Meyer-Bisch, 2015, p. 54]

« Revenir aux fondements de la démocratie, de ses objectifs comme de ses structures de gouvernance, c’est relire notamment l’ensemble des droits de l’homme, car ce ne sont pas que des idéaux et des normes juridiques, ce sont les structures de la vie quotidienne qui sont en jeu ainsi que toutes les relations de pouvoir et de responsabilité. C’est capital et ça fait peur ou hausser les épaules : trop idéaliste, trop normatif. C’est pourtant le contraire, puisque c’est la source de nos libertés concrètes. […] les libertés et droits fondamentaux indiquent des valeurs à atteindre, des ressources à respecter et des processus à mettre en œuvre, pour garantir l’efficacité du « jeu des libertés » qui constitue l’essence démocratique. Libertés d’expression, d’information, d’association, sont bien des instruments structurants de toute vie démocratique. […] Certains voudraient croire que le processus démocratique est neutre, alors qu’il se fonde sur le développement d’une culture du débat bien instruit, et pas seulement sur le maintien d’un échange tolérant d’opinions. […] Nous avons besoin, dans toute communauté politique d’aller capturer de nouvelles idées concrètes parce que bien appropriées, concrètes parce qu’assez complexes tout en étant audibles, lisibles, tangibles. Pour relever ce défi, il est nécessaire de chercher plus d’intelligence collective » [Meyer-Bisch, 2015, p. 102-103]

« Une démocratie de proximité implique que tous les habitants aient la possibilité de participer à une dynamique commune reliant les différents niveaux de responsabilités publiques et traversant les secteurs de la vie sociale, économique et politique. Ils ont droit à ce que leurs voix, leurs savoirs et leurs impôts soient pris en compte de façon cohérente. Qu’est-ce qui fait ce lien de cohérence, sinon le croisement de la diversité des savoirs entre des acteurs responsables ? Les facteurs culturels ne se réduisent ni à des particularismes locaux, ni à des activités artistiques et patrimoniales : ils concernent toutes les formes de savoirs et de modes de vie ; ils jouent un rôle central dans la continuité du lien politique ; ils sont facteurs d’adhésion, de participation et de responsabilité. Face au découragement citoyen, un des enjeux fondamentaux des réformes territoriales est de reconsidérer ce lien transversal. […] Quelles que soient les décisions sur le nouveau découpage des collectivités territoriales publiques et la répartition de leurs compétences, les soussignés estiment que des principes de participation citoyenne et de connexion entre les secteurs doivent être clairement identifiés, respectés et valorisés. Dans la nécessité de maintenir l’unité du territoire national et de discerner les découpages administratifs cohérents, les questions culturelles d’attachement aux territoires ne relèvent pas que de l’imagination et de la sensibilité ; elles ont un impact important sur l’effectivité de la participation citoyenne et sur la confiance dans les institutions.» [Publication Paideia, 2015, p. 8]

« Le « vivre ensemble » n’est pas un objectif suffisant, car les régimes bureaucratiques et autoritaires cherchent aussi à ce que les différentes composantes d’une société vivent ensemble, en tolérance mutuelle et de préférence en masse indistincte. Nous préférons la devise de la ville de Rennes : « vivre en intelligence ». Il ne suffit pas de tolérer les autres, encore faut-il les comprendre et se faire comprendre, trouver ensemble des savoirs sociaux plus intelligents. C’est en ce sens que les droits culturels de tous sont au coeur du tissage social » [Meyer-Bisch, 2016, p. 10]

« Une culture démocratique forte se vérifie dans une pratique de débats informels, mais aussi en des espaces régulièrement institués, pour chercher les ajustements les plus percutants. Notre hypothèse est qu’un espace démocratique est un espace de tension entre des couples de valeurs légitimes et opposées. (…) Une dialectique, ou technique de dialogue, ne se réduit ni à un échange d’idées ni à un compromis : elle consiste à débattre – le temps qu’il faut – de l’opposition entre les valeurs nécessaires et opposées en les précisant au fur et à mesure. Que chacun puisse exprimer et analyser ses valeurs et entendre et analyser celles qui lui sont opposées est essentiel. Les uns et les autres, dans une relation de respect et de critiques mutuels cherchent à distinguer dans chacune des positions ce qui est vraiment nécessaire de ce qui ne l’est pas, ou qui s’avère moins pertinent ou faux. Par exemple, une dialectique principale consiste à opposer : approche sectorisée et transversalité. Les deux pôles sont nécessaires et un compromis n’est pas forcément intelligent. Il faut un ensemble de critères qui permette d’équilibrer les deux pôles : un accord juste et singulier qui tienne compte des deux valeurs. Une synthèse est un accord qui maintient la tension entre les valeurs opposées, en les élevant, en les équilibrant l’une par l’autre. Ce n’est ni un compromis, ni une réponse définitive, c’est un point d’équilibre qui paraît adapté à la situation analysée, et qui n’exclut pas que d’autres synthèses, ou points d’équilibre puissent être trouvés dans la même situation. Tel est le procédé dialectique ordinaire, qui remonte aux Grecs et qui est au fondement d’une culture démocratique traversant tous les acteurs. Se mettre en débat construit, c’est aussi exercer ensemble nos droits culturels. Ce n’est pas seulement un droit au dialogue et à la tolérance, mais le droit et la responsabilité de chercher ensemble les positions les plus justes, les mieux ajustées. L’exercice des droits culturels, c’est aussi que chacun puisse être en capacité d’exprimer et de débattre sur des valeurs nécessaires en opposition. C’est la vitalité d’une culture démocratique » [Meyer-Bisch, 2015, p. 60]

DÉPLOIEMENT DE LA PROPOSITION

ENJEUX

Réunir les conditions d’une participation active (droit de participer à la vie culturelle)
  • S’appuyer sur la diversité des acteurs concernés et impliqués
  • Conjuguer les temps et les lieux de la participation 
  • Reconnaître et qualifier les espaces de la participation et faire que ces compétences acquises soient mobilisées : s’assurer que les savoirs acquis par les personnes sont effectivement déployés dans des espaces et/ou instances démocratiques (commissions, villes, départements) dont les décisions comptent dans le développement des territoires (droit de participer à la vie culturelle)
Reconnaissance réciproque des savoirs et compétences de la diversité des acteurs
  • Développer la reconnaissance réciproque des savoirs : les prises de décisions doivent être collectives et être nourries par la diversité des savoirs de chacun (droit de participer à la vie culturelle et de développer des coopérations culturelles dans le respect des identités culturelles)
Développement et mobilisation des savoirs et compétences de tous les acteurs impliqués
  • Reconnaître que chaque personne est déjà porteuse de savoirs et de compétences ressources : s’appuyer sur les acquis et savoirs portés par les personnes et considérer que l’acquisition des compétences ne doit pas relever d’un « formatage » (droits de choisir et de voir respecter son identité culturelle, droit de faire référence ou non à une ou plusieurs communautés d’appartenance)
  • Favoriser l’acquisition, le développement et la mise en œuvre des compétences des personnes impliquées : assurer l’acquisition des compétences et la participation des personnes quelles que soient leur condition, leur statut social, leurs références culturelles et le rythme (droit de former et de se former tout au long de la vie dans le respect des identités culturelles)

« Le droit de participer à la vie culturelle (art. 27 de la déclaration universelle des droits de l’homme) est une condition essentielle et négligée du droit de participer à un ordre démocratique tel que les droits de l’homme soient effectifs (art. 28). Chacun est porteur et demandeur de savoirs, aussi est-il essentiel de recueillir et de croiser les savoirs d’où qu’ils viennent, y compris des personnes qui sont en marge. Innover, c’est travailler autrement avec les acteurs pour que des synergies, souvent inattendues, se développent. En deçà des modes, innover en profondeur, c’est instaurer concrètement les conditions d’une nouvelle circulation du sens au travers des activités et des métiers. Les valeurs communes ne sont pas seulement supposées par la démocratie, elles sont toujours à construire, à développer et à approprier, partout où se fabrique la culture, où se forme la texture de nos sociétés » [Meyer-Bisch, 2013, p. 21]

« Bâti autour d’une thématique choisie collectivement, le « salon de lecture » questionnera des sujets propres aux jeunes participants en les invitant à échanger sur ces sujets lors des ateliers puis avec d’autres jeunes gens lors de la restitution. Cette analyse a permis de mettre en évidence les espaces de liberté laissés aux jeunes dans le projet afin que celui-ci ait davantage de sens pour eux et qu’il soit coloré de leurs identités diverses et respectives, lesquelles, mises en débat, en discussion ont pu s’enrichir mutuellement. Les espaces d’échange, de palabre pour les participants à un projet me semblent être indispensables : c’est là que peuvent exister les diverses identités culturelles. Cela participe au processus démocratique qui est le fondement de notre société. Au-delà de l’analyse de ce projet, le travail d’aller-retour entre théorie et pratique impliqué par la démarche a, pour moi, mis en évidence la nécessité : – de penser à mobiliser toutes les ressources disponibles et pertinentes pour enrichir la démarche d’un porteur de projet et, de ce fait, avoir une vision plus globale à l’échelle du territoire de ce projet. Connecter les ressources et décloisonner les champs d’intervention. – d’être davantage vigilant à la non-instrumentalisation des personnes et veiller à ce qu’un projet soit avant tout un espace d’expression pour les personnes dans le respect de ce qu’elles sont et un espace où trouver les ressources nécessaires, indispensables à leur participation à la vie sociale, culturelle, citoyenne du territoire où elles vivent. […] Que produisent ces projets en termes de richesse et de développement humain ? Contribuent-ils à réduire les inégalités sociales ? Aident-ils à développer la participation des habitants à la vie citoyenne ? Contribuent-ils à la mixité sociale ? Comment penser la catégorisation des publics dans le cadre de ces dispositifs de médiation culturelle au regard des droits culturels ? Si les droits culturels sont avant tout des droits individuels, les dispositifs que mes collègues et moi coordonnons ont une dimension collective. Il convient donc de penser les enjeux de ces droits dans une telle dimension » [Vieilleville, 2013, p. 51]

« Les droits culturels m’ont permis de formaliser et de mettre des mots sur des valeurs que je ne portais pas toujours de manière consciente. Les mots, parfois galvaudés, de « participation, partenariat, démocratie culturelle etc. » reprennent tout leur sens. La convivialité, le partage, le dissensus, tout ce qui fait le plaisir de travailler collectivement à l’enrichissement de chacun me motive dans cette démarche. J’ai la conviction profonde que les droits culturels sont la réponse la plus pertinente aujourd’hui à la crise de sens que peut connaître l’action publique sous toutes ses formes. Aujourd’hui, je peux m’appuyer sur ce référentiel pour argumenter un choix ou des orientations stratégiques. Elle me permet de discerner plus facilement les enjeux de notre action au sein du service de développement culturel. Je suis davantage en mesure d’expliquer pourquoi la culture est si fondamentale dans la vie des hommes » [Gallet, 2013, p. 32]

PROBLÉMATIQUES

Instrumentalisation
  • Risque d’instrumentalisation des espaces de participation et des personnes : tension entre les instances de démocratie participative et les personnes élues qui prennent les décisions en dernière instance. Comment ne pas risquer l’instrumentalisation ? Tension entre la représentativité et la nécessité de prendre en compte le fait qu’une identité est plurielle et évolutive. Comment sortir d’une culture politique qui assigne à des identités, rôles, postures à tenir ?
Élaborer un langage commun
  • Difficulté à élaborer des cadres d’expression et règles en commun : tension entre la nécessité de se doter d’un cadre consenti pour permettre l’expression des personnes et la garantie que l’expression soit libre et pluraliste. Comment développer la capacité des personnes à avoir prise sur l’exercice dans lesquels elles sont impliquées ?
Développement des méthodes et des outils adéquats
  • Manque de méthodes, d’outils, de techniques de mise en œuvre : tension entre la nécessité de se doter de méthodes, outils, techniques en commun et la nécessité de rechercher constamment des supports différents et accessibles pour s’assurer que toute personne puisse contribuer. Comment inventer des outils, méthodes et techniques appropriées tout au long de l’exercice de la démocratie participative ?
Technicité et technocratie / monopole des grands orateurs
  • Technicité des problématiques et des langages codés : tension entre expertise et opinion, entre savoir et intuition. Comment faire pour que les compétences de chacune des personnes prenant part à l’exercice soient développés et valorisés, tant dans la mise en partage des savoirs que dans l’analyse et le traitement des problématiques posées ?
  • Monopole des grands orateurs : tension entre la nécessaire expression publique et le respect de la diversité des modes d’expression des personnes. Comment permettre des modes d’expressions équitables avec une reconnaissance égale des divers supports ?
Coopérer entre de multiples acteurs
  • Difficulté à coopérer entre de multiples acteurs : tension entre savoirs citoyens/ professionnels. Comment articuler les compétences nécessaires à la recherche de la coopération sur le territoire ?
Pérennisation dans la prise en compte de la diversité des modes d’engagements
  • Difficulté de s’adapter aux modes d’engagement des personnes : tension entre l’investissement nécessaire dans l’exercice de la démocratie participative et la diversité des modes d’engagement des personnes. Comment faire pour que l’exercice accueille, respecte et s’adapte aux capacités d’engagement des personnes ?
  • Essoufflement des personnes impliquées dans la durée : tension entre l’exercice long de la démocratie participative et l’urgence des solutions à trouver. Comment pallier à cette difficulté récurrente de l’engagement des acteurs sur le long terme ? Quelle temporalité respectueuse de chacun ?

« Les potentialités de la culture en tant que lien fécond et innovant entre la vie sociale, économique et politique sont encore sous estimées. Ces domaines demeurent très séparés et leurs acteurs respectifs ne travaillent que très peu en synergie. Cela induit un gaspillage considérable de ressources. Dans le domaine des droits humains, les droits culturels ont été sous-développés jusqu’à ces dernières années. Seuls les rapports entre droit à l’éducation et développement ont été assez largement analysés. Dans le meilleur des cas, quand il n’était pas tout simplement oublié ou compris dans le social, le culturel est apparu comme le « quatrième pilier » du développement durable. Cependant, l’importance transversale des facteurs culturels apparaît de plus en plus. Cela est visible au niveau mondial, notamment depuis l’adoption des deux instruments de l’Unesco sur la diversité culturelle, les travaux plus récents des Nations Unies et la création d’une procédure spéciale dans le domaine des droits culturels, et également au niveau européen. Alors que la diversité culturelle était auparavant considérée comme un obstacle, elle est à présent de plus en plus perçue comme une ressource transversale à valoriser dans les questions sociales, économiques et dans la gestion (gouvernance) des territoires et de la coopération. Le droit de participer à la vie culturelle n’est plus un besoin tertiaire, mais une condition pour s’intégrer à la société et pour y prendre des responsabilités dans tous les domaines » [Publication Paideia, 2013, p. 20]

« […] réinterroger les versions du « développement culturel ». Cette formulation laisse entendre que plusieurs versions peuvent être promues sous le même vocable, parfois en même temps et de façon contradictoire au sein d’une même collectivité ou d’un même lieu. […] Sans doute que la version la plus visible aujourd’hui depuis les collectivités territoriales (avec des lieux de résistances lisibles par exemple dans les débats récents au sein de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture) est celle de l’attractivité des territoires et de leur rayonnement. C’est la promotion du développement économique, dans une logique de concurrence, que servirait le secteur culturel. Au-delà du débat que nous pourrions avoir sur la question des valeurs, arbitraires (pourquoi ne pas plutôt promouvoir la solidarité des territoires ?), des travaux de politologues et d’économistes ont montré les ambivalences et les décalages entre les objectifs annoncés de manière souvent magique sur le modèle de « l’effet Bilbao » et leurs effets réels. Cette logique n’est pas sans produire de la requalification, mais ses effets leviers sont de fait souvent aléatoires et ponctuels. Elle produit également de l’exclusion et une gentrification peu amène (Garnier, 2008), et sert aussi parfois d’abord la constitution d’une nouvelle catégorie de professionnels, celle de consultants qui construisent les discours de justification soutenant de telles politiques (Matz, 2012).

Une autre version peut se lire dans ce qui participe au mouvement largement transversal aux politiques publiques en général « d’injonction à la participation des habitants » (voir les travaux de politologues comme Loïc Blondiaux ou ceux de Marion Carrel). On peut se demander si cette version n’est pas finalement étroitement liée à la conception ancienne de démocratisation culturelle, qui aurait seulement changé ses modalités d’action : les spectateurs deviennent certes « spect’acteurs », mais c’est toujours à la production artistique produite par d’autres qu’il convient de (les faire) participer. […] Mais où et comment sont dépliés les objectifs de ce à quoi on appelle à participer ? Accompagner en douceur la rénovation urbaine sans entrer dans des rapports de force ? Célébrer la ville festive et créative sans interroger les mécanismes structurels à la source des inégalités contemporaines ? La rencontre avec des pratiques artistiques permet sans doute du point de vue des trajectoires individuelles de produire des pas de côté, des décalages, des « déplacements » (Petit, 2004), des « essayages de rôles » (Lahire, 1998), qui permettent de faire travailler les identités, par les retours sur le passé et les projections dans l’avenir qu’ils occasionnent, avec des effets sensibles sur les parcours de vie des personnes. Mais en accordant un poids excessif à ces supports symboliques, on risque peut-être de contribuer malgré la générosité des intentions à un mouvement plus général qui consiste à faire porter à l’individu seul la responsabilité de son sort. « Je suis l’auteur d’un livre, je deviendrais l’auteur de ma vie » ? Trop souvent, le passage n’est pas explicité, et on laisse ainsi entendre que les moyens symboliques seraient suffisants, occultant la cruciale nécessité des supports objectifs (Castel, Haroche, 2001). (…)

Les propositions très puissantes de Nancy Fraser sont une solide invitation à embrasser cette question de manière complexe. La philosophe attire l’attention sur l’impérieuse nécessité d’une conception bidimensionnelle de la justice sociale qui tiendrait ensemble les enjeux de reconnaissance et les enjeux de redistribution. Elle appelle la recherche de dispositions institutionnelles et de politiques publiques capables de remédier en même temps à la distribution inique et au déni de reconnaissance, s’articulant autour du pivot normatif de la parité de participation à la vie sociale. Ce dernier ne peut être réduit à en appeler à l’implication au sein de projets particulièrement circonscrits dans leurs enjeux. Il est bien plus exigeant : « il revient aux individus et aux groupes de définir pour eux-mêmes ce qu’est une vie bonne, et de décider des moyens de la poursuivre dans des limites qui garantissent la liberté des autres » (p. 158).» [Pryen, 2016, p. 23]

« Le plus dur au départ était de dépasser l’imaginaire de ce qu’est la culture et de son champ politique, c’est-à-dire basculer vers la définition de L’Unesco de 1982 et non la culture comme, au mieux, consommation d’art… Cela est désormais acquis. Ils ont compris en quoi cette dimension est primordiale dans leur domaine, même si celui-ci ne s’affiche pas comme culturel dans l’imaginaire institutionnel. Finalement, la démarche permet avant tout de rappeler que les politiques publiques sont d’abord là, en tout cas dans une démocratie, pour développer les droits de l’Homme et qu’il y a bien un enjeu culturel essentiel à objectiver, quel que soit le champ dans lequel nous agissons. Ainsi, dire qu’il faut passer à des politiques publiques qui se pensent en termes de « capacités » et non de « besoins » des habitants prend du sens. […] La difficulté vient de croire que c’est une approche englobante. De plus, la notion de transversalité tue la réflexion. Ce qui a vraiment été travaillé avec l’ensemble des professionnels de tous les domaines, c’est bien d’avoir chacun sa place et de travailler ce qu’il y a « entre » chaque place par la compréhension des dimensions culturelles de son champ d’action, même pour la culture qui croit trop facilement qu’elle y est déjà ! […] Cela n’enlève en rien au professionnalisme de chaque champ, qu’il soit artistique, scientifique ou d’autres domaines. Cela questionne la façon dont ils se connectent, dont ils trouvent leur sens, dont ils construisent leur ligne de temps, dont ils trouvent leur gouvernance les uns avec les autres, chacun apportant ce qu’il a à apporter. C’est une façon différente de voir sa place qui sort des schémas participatifs ou de la notion définie de médiation culturelle, qui, telle qu’elle est déployée dans le champ de la culture, a besoin d’être refondée » [Collin, 2013, p. 62]

« Je crois qu’il y a une déconnexion entre l’administration et l’ensemble des personnes à qui elle « rend service ». Il faut les reconnecter. La démarche des droits culturels permet cela. L’administration ne peut être déshumanisée. Elle est composée de personnes qui vivent le territoire. Cette réalité doit être mise à profit pour que le moindre règlement, le moindre service soit avant tout mis en oeuvre comme un service au service des habitants. C’est cela qui définit l’administration. Son existence n’a de sens que dans son rapport à l’homme. Sans habitant, il n’y a pas besoin d’administrer. Les Départements, de par leurs qualités et leurs compétences, ont acquis une expertise sur les questions de désocialisation. Ce n’est pas pour rien que les Départements ont posé eux-mêmes cette question de la relation humaine dans leur évaluation. Il s’agit de sortir du logiciel « dispositif » et de se reposer la question de l’autonomie au regard des droits fondamentaux. Ce qui nous intéresse avant tout, c’est la diversité humaine. Comment administrer en respectant cette diversité ? En en faisant un élément fondamental du corpus du service public, et non pas en cherchant à la canaliser dans un système où administrer se limiterait à multiplier les systèmes « désincarnés », et des répondeurs du type « Vous êtes une personne âgée, faites le 1, une personne handicapée, faites le 2, etc. ». Ce n’est pas comme ça que les politiques ou les fonctionnaires des Départements envisagent leur fonction. Aujourd’hui, reprendre les actes quotidiens et les réfléchir au regard des droits de l’homme nous permet vraiment de reposer les bases du pourquoi on administre, pour qui on administre et comment… Quand on approche de très près les principes de la fonction publique et l’organisation du statut du fonctionnaire, on voit qu’il est difficile de transgresser l’organisation traditionnelle qui cloisonne les fonctions et les niveaux hiérarchiques. Franchir ces murs repose sur la bonne volonté de quelques-uns, porteurs de ces valeurs. Dès qu’ils s’en vont ou changent de place, le risque est de voir renaître les mêmes empêchements. Comment agir sur cette immuabilité du statut du fonctionnaire, du devoir de réserve et de l’écrasement de la hiérarchie ?   » [L’Herminier, 2015, p. 14]

« Le projet « La place du travail dans la vie des femmes » cherche à explorer et à mettre en débat la question des inégalités de genre dans le travail à l’aide de regards multiples qui font dialoguer la création artistique et la recherche en sciences sociales. Il a été élaboré à partir de et avec l’implication de trois groupes de femmes issu(e)s de milieux socioprofessionnels divers. Ce projet a été élaboré à partir de la réalisation d’entretiens individuels et collectifs menés par la sociologue Stéphanie Pryen avec une quarantaine de femmes associées au projet. Elle a cherché à les entendre sur quelques-uns des aspects de leur rapport au travail, à la formation, au non-travail et à leur action militante. Elle a également voulu saisir si la question du genre constituait un enjeu pour les personnes rencontrées. Sur la base de ce travail d’écoute et d’analyse, l’association a proposé à plusieurs artistes de créer des formes plurielles et pluridisciplinaires d’intervention artistique (graphisme, photographie, théâtre, poésie, vidéo). Tous les artistes ont oeuvré à partir des entretiens et des analyses produits par Stéphanie Pryen pour créer à partir de ce corpus et des rencontres nouées avec les collectifs de femmes, différentes formes d’expression et de représentation portant dans l’espace public les enjeux de la place du travail dans la vie des femmes. Ces créations ont été produites à partir de processus de co-élaboration plus ou moins impliquant pour les femmes associées au projet. Ce projet a mis en évidence par l’expression de ces femmes leurs revendications au respect de leurs droits culturels autant dans le cadre de leur travail que dans leur vie quotidienne. La circulation de leurs paroles sous des formes artistiques en dehors des communautés qui ont participé à les produire permet la mise en débat des questions qu’elles portent dans d’autres espaces sociaux et donc de « faire politique autrement ». Les droits culturels sont à la fois des « bornes éthiques » qui permettent de piloter et d’évaluer ce type de projet à l’aune d’un cadre théorique large et universel qui prend appui sur la notion de respect et sur la dignité humaine. Ils sont également des outils d’interpellation qui invitent les acteurs des politiques publiques à mesurer « ce qui fait valeur autrement », à sortir des seules logiques comptables et gestionnaires pour qu’aux logiques fondamentales de redistribution aux individus soient articulées les dynamiques de reconnaissances des personnes » [Naudé, 2013, p. 53]

MISE EN ŒUVRE

Développer des compétences à :

Cultiver les précédents et à évaluer collectivement
  • Acquisitions basées sur l’expérience et la pratique de l’échange :

− S’impliquer dans l’exercice de démocratie participative : apprendre par le faire
− Echanger entre acteurs (élus, professionnels, habitants) sur les pratiques expérimentées
− Identifier des personnes et institutions ressources pouvant transmettre des outils et des savoirs susceptibles de nourrir la pratique (institutions privées ; universités ; recherche-action)

  • Des compétences à informer et s’informer sur ce qui est fait (art. 7)

− Collecter et exercer son esprit critique sur les données (statistiques, diagnostics déjà réalisés) (N66)
− Assurer la circulation de l’information en interne et en externe en s’appuyant sur une diversité de médias (N45)
− Elaborer les traductions nécessaires, suivant les médias utilisés et les langues parlées
− S’orienter dans le flux d’informations, décrypter, critiquer et retransmettre
− Veiller à ce que chacun puisse prendre part à la fabrique de l’information et à sa circulation.

  • Compétences à produire de l’intelligence collective et à évaluer

− Atteindre le consensus pour hiérarchiser les priorités sans en négliger aucune (N45)
− Formuler un problème en commun en partant des situations vécues des acteurs
− Elaborer collectivement les critères d’évaluation du processus
− Evaluer la prise en compte par les politiques publiques des décisions prises au sein des instances de démocratie participative (N45)
− Constituer et partager un capital commun d’expériences
− Valider les compétences acquises par les personnes impliquées afin qu’elles soient reconnues dans d’autres sphères d’action (N47)

Faire commun dans la diversité et le respect des singularités
  • Des compétences à rassembler

− S’appuyer sur des personnes relais et leurs références communautaires
− Aller à la rencontre des personnes là où elles se trouvent, dans les lieux qu’elles fréquentent
− Identifier des intérêts communs à s’impliquer sans nier les intérêts particuliers. Chercher à les relier
− Faire en sorte que les personnes impliquées ne soient pas toujours les mêmes et/ou ne forment pas une entité homogène (N66)

  • Des compétences à se constituer en communauté de citoyens

− Définir en commun le cadre, et les valeurs qui permettent à chacun de s’exprimer
− Etablir en commun les principales étapes de l’exercice et discuter des objectifs et enjeux
− Limiter les prises de pouvoir ou l’instrumentalisation de l’exercice
− Considérer la contradiction comme moteur de la vie démocratique et garantir la possibilité de son expression
− Faire commun et assurer l’accueil continu de nouvelles personnes
− Faire confiance et tenir les engagements pris en commun

  • Etre en relation à l’autre / aux autres

− Se former aux relations et pratiques interculturelles (N77, N62)
− Ecouter, considérer chaque personne comme une ressource, chercher à comprendre l’autre, apprendre de lui (N45)
− Accepter la contradiction et la complexité des sujets à traiter
− Traduire ses propres codes (termes techniques, concepts, sigles etc.) et élargir ses registres de langage (N66)

  • Des compétences à se saisir de la complémentarité des savoirs

− Reconnaître la diversité des formes de savoirs (théoriques, d’usages, techniques, savoir faire, savoir être, etc.) et les prendre en compte (N45)
− Organiser la complémentarité des savoirs plutôt que de les mettre en concurrence (N47)
− Rechercher les savoirs et ressources du territoire, favoriser les rencontres pour mieux comprendre les activités des uns et des autres (N45, N62)
− Veiller à ne pas présupposer d’emblée de quels types de savoirs les personnes sont porteuses

S’approprier, sans exclure, contenus, méthodes, outils développés
  • Outils techniques à s’approprier pour oeuvrer démocratiquement

− Diversifier les supports d’expression des personnes et leur médiation, par exemple, organiser le travail en groupe restreint pour favoriser la prise de parole (N45)
− Diversifier les outils déployés à chaque étape de l’exercice (N45), par exemple, organiser les médiations nécessaires (écrivains publics, traducteurs, photo-langage etc.), utiliser le vecteur des pratiques artistiques ou des pratiques de reportages in situ (N45)

  • Des formations à mutualiser

− Etat des lieux de l’existant et identification des formes de mutualisations possibles sur le territoire
− Etablir un programme commun (des formations à destination des professionnels et des habitants sont déjà développées dans le cadre des dispositifs de la politique de la ville – N45)
− Prévoir, organiser et programmer des formations dans la mise en oeuvre même de l’exercice de démocratie participative (N66)

Créer des habitudes pour œuvrer dans la durée
  • Des compétences à œuvrer dans la durée

− Prendre en compte les différents modes d’engagement et d’implication possibles des personnes et reconnaître leur complémentarité (N62)
− Répartir les missions, les rôles et responsabilités des uns et des autres, et organiser la mobilité dans les fonctions selon les compétences originelles ou nouvellement acquises
− Nourrir régulièrement les exercices de démocratie participative de réalisations concrètes et les restituer publiquement (N66)
− Veiller aux relations entre professionnels et habitants engagés bénévolement. Chacun doit trouver une place et une légitimité à son implication (N66)

 

  • Créer des habitudes

− Développer en milieu scolaire les compétences des enfants à débattre, à coopérer, à prendre des décisions en commun (N47)
− Développer divers supports de cet apprentissage. Exemple, l’orchestre à l’école permet : d’opérer des choix personnels (instrument) et collectif (morceaux à jouer), de développer l’apprentissage de l’expression libre au sein d’un groupe (improvisation), diversifier son langage (écriture, danse, etc.), de gérer le matériel et de se responsabiliser (instrument, engagement dans un groupe etc.), de s’exprimer en public (concerts) (N47)

« Revenir aux fondements de la démocratie, de ses objectifs comme de ses structures de gouvernance, c’est relire notamment l’ensemble des droits de l’homme, car ce ne sont pas que des idéaux et des normes juridiques, ce sont les structures de la vie quotidienne qui sont en jeu ainsi que toutes les relations de pouvoir et de responsabilité. […] Les droits de l’homme sont une grammaire de politique démocratique trop peu utilisée ; ils sont pourtant la base de l’objectivité, et non une idéologie. Ils permettent de tisser ensemble des droits et libertés dans leurs diverses dimensions et de montrer des responsabilités difficiles à assumer, à tous les niveaux. Les libertés et droits fondamentaux indiquent des valeurs à atteindre, des ressources à respecter et des processus à mettre en oeuvre, pour garantir l’efficacité du « jeu de libertés » qui constitue l’essence démocratique. Libertés d’expression, d’information, d’association, sont bien des instruments structurants de toute vie démocratique. […] Certes, les discours simples qui prônent de grandes valeurs consensuelles, ou en opposition frontale avec un « autre bord », sont plus aisés, mais ils sont aussi plus stériles. Les droits de l’homme clarifient des oppositions de valeurs nécessaires, comme les libertés d’expression et le respect d’autrui, les droits civils et les droits sociaux, ou encore une autorité cohérente dans les décisions et la participation démocratique la plus large possible. Les mots dérangent quand ils sortent des discours convenus en majorité ou minorités. Il est connu que les droits de l’homme sont inoffensifs tant qu’on ne les détaille pas et qu’on se contente de les proclamer. Tout le monde est pour, ou à peu près, ou « fait comme si ». Mais quand on entre dans leur analyse, on y trouve toutes les grandes valeurs en contradictions permanentes, donc des conflits nécessaires qu’il paraît plus aisé d’éviter. C’est pourtant le seul espace en tension, surtout aux moments des redéfinitions des compétences et des missions, seul espace où il est possible de trouver une base pour élaborer de nouvelles stratégies adaptées à la diversité des acteurs et des situations. Le but n’est pas un simple consensus, mais l’accord sur des espaces légitimes d’interprétation dialectique. Ce n’est rien de nouveau, c’est notre socle démocratique : celui qui fonde une culture démocratique. C’est capital. Il ne s’agit donc pas de se contenter d’un minimum formel. Les périodes de crise et de définitions appellent l’invention de plus de culture, avec des arguments renouvelés et ajustés aux défis actuels. Pour accéder à ce progrès, il faut apprendre à reconnaître les savoirs qui existent un peu partout, y compris chez des personnes en situation difficile, et cesser de les mépriser sous prétexte de professionnalisme.» [Meyer-Bisch, 2015, p. 102]

« Quelle que soit l’ampleur de l’initiative ou la teneur du projet, sa réussite dépendra de la cohérence entre les objectifs et les moyens déployés. Un organe de concertation et de suivi, impliquant une diversité de compétences, de sensibilités et de personnes concernées par l’initiative et ses retombées, est une garantie pour ne pas perdre de vue cette cohérence et permettre la durabilité de l’action et de ses effets. En termes de droits culturels, il s’agit d’assurer le développement du droit de participer à l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation des décisions qui concernent et ont un impact sur l’exercice des droits culturels et des droits humains (art. 8), ainsi que de prendre part à la coopération. Un organe mixte est un espace de dialogue qui contribue à la bonne gouvernance de l’initiative (légitimité vers l’extérieur). Il est un espace important de soutien et de renforcement pour les porteurs du projet (complémentarité et échanges de savoirs, art. 7) » [Les organes mixtes de concertation, introduction aux 12 propositions du Nord]

« Construit collectivement dans une démarche de démocratie participative, animé par la volonté de prendre en compte tous les aspects de la vie des jeunes, le projet éducatif global départemental (PEGD) est proposé aux collèges publics du Nord depuis septembre 2012. Le PEGD met en cohérence, en synergie, en complémentarité des actions éducatives relevant de chaque partenaire : établissements, Éducation nationale, associations, parents, jeunes, Département… C’est donc tout naturellement qu’il s’inscrit dans la démarche des droits culturels, à laquelle il contribue par essence. Intimement liés, ils se nourrissent d’une même ambition : permettre à chacun de s’intégrer au mieux dans la société, et dans la communauté. Leurs objectifs sont communs et se font écho, comme l’identité et l’accès aux ressources culturelles, la création de sens autour d’un territoire et l’implication de chacun… La reconnaissance les droits culturels des acteurs du PEGD est un outil d’évaluation, mais également un levier de cohésion :
D’un point de vue macroscopique : La cartographie de la démarche permet de recenser tous les acteurs d’une communauté éducative, de mesurer la part d’implication potentielle de chacun au regard du projet. La démarche permet de poser une réflexion axée sur la volonté de mettre en symbiose et en résonances toutes les richesses humaines et culturelles, au sens large, d’un territoire, et de contribuer à la création d’une communauté, celle qui relie tous les co-acteurs de l’éducation des jeunes.
D’un point de vue microscopique : La démarche permet à chaque pilote d’évaluer le projet de sa communauté de façon différente, en prenant en compte la diversité et la réalité de tous les acteurs, en mesurant la place qui est faite, ou prise, par chacun, afin de réajuster au mieux la prise en compte de l’identité individuelle, vers la coconstruction d’une identité collective reconnue et acceptée. À titre expérimental, le collège Boris Vian de Lille a ainsi décidé de relire tout son projet au regard des droits culturels, et d’en améliorer, si nécessaire, la prise compte dans chaque action. Dans les travaux engagés, je vois dans la mise en cohérence des droits culturels et du PEGD, au-delà de l’évaluation, un levier pour améliorer l’implication des jeunes dans le projet, afin de leur permettre de passer d’un mode encore trop attentiste ou consumériste à un mode engagé et impliqué. L’objectif est de les rendre co-acteurs et co-responsables des choix, des orientations, des projets construits par et pour eux : impliquer dans la communauté éducative d’aujourd’hui les acteurs de la communauté civile de demain » [Renard, 2016, p. 97]

« Que veut dire être citoyen, et développer sa citoyenneté au regard des droits culturels ? Formatage des jeunes convoqués face à leurs devoirs avant tout ? Quelles sont les conditions nécessaires à son émergence. Ma participation à la démarche m’amène à m’interroger sur ce que signifie la citoyenneté pour les jeunes. Espace du projet : rendre possible et réelle, effective la participation, non seulement à la vie culturelle, mais plus loin à la vie sociale de leur territoire. Pour certains jeunes, le projet sera peut-être la première expérience de ce type. Pour réaliser son droit à la participation, encore faut-il en avoir l’idée, et pour cela l’expérimentation est essentielle. Ce dispositif contribue à rendre possible et soutenir des initiatives. Coordinatrice du dispositif Culture-jeunesse-citoyenneté, la démarche est une opportunité pour interroger la notion de citoyenneté au regard des droits culturels. Mobiliser la notion et les enjeux de citoyenneté au travers des projets artistiques et culturels, c’est réalisé le droit de participer à la vie culturelle, c’est veiller à ce qu’un projet favorise l’accès à une diversité de ressources, culturelles en l’occurrence, afin de placer les jeunes dans les meilleures conditions possibles de participation, d’inter-action entre eux dans le collectif et avec leur environnement. L’accès à une diversité de ressources est une des clés pour le développement de l’autonomie et de la citoyenneté. Cette diversité est fondamentale, à la fois parce qu’elle enrichit les savoirs sur soi, sur les autres, sur son territoire et aussi parce qu’elle contribue au développement des capacités de chacun. Les projets soutenus dans le cadre de ces dispositifs sont une opportunité pour ouvrir des espaces propices à la mobilisation et à la réalisation des droits culturels. Être engagée dans cette démarche m’a amenée à considérer différemment le dispositif et prendre conscience de la façon dont il peut contribuer à réaliser les droits culturels en accompagnant les porteurs de projets sur ces dimensions » [Vieilleville, 2016, p. 98]

CAS D’ÉCOLE

Des tables citoyennes au conseil citoyen de la Ville d'Hazebrouck – N45

Observateur(s) : Jonathan Larivière, Romain de Nève (contact)

Institution : Ville d’Hazebrouck

Résumé : L’implication des habitants dans la démarche de suivi et d’évaluation du Contrat de Ville à travers des instances de démocratie participative appelée Conseil Citoyen est obligatoire par la loi du 21 février 2014. Des tables citoyennes sont mises en place afin de débattre avec les habitants des thèmes qu’ils souhaitent aborder. Cette action citoyenne est associée à d’autres types d’action comme la réalisation d’une fresque, un reportage photos, l’intervention d’une troupe de théâtre afin de mobiliser plus largement les habitants.

Ce cas d’école analyse au regard des droits culturels la mise en œuvre de tables citoyennes dans un quartier de la ville d’Hazebrouck.

Orchestre à l’école – N47

Observateur(s) : membres du chantier (contact)

Institution : Conseil départemental du Nord

Résumé : mise en place d’ateliers de pratiques musicales dans une école primaire. Le projet a pour objectif d’apprendre la pratique d’un instrument et d’en jouer en orchestre. Cette action vise par là plusieurs types d’apprentissage : mise en place de pièces musicales proposées par l’école de musique, les techniques de base de la pratique instrumentale, improvisation et expression libre, responsabilisation vis à vis de son instrument…

Ce cas d’école analyse au regard des droits culturels comment une action du type « orchestre à l’école » favorise l’apprentissage de compétences en matière de citoyenneté et de prises de décision démocratique.

Favoriser l'autonomie des associations membres du CRIC, conseil roubaisien de l’interculturalité et de la citoyenneté, à Roubaix – N62

Observateur(s) : Céline Dehalu (contact)

Institution : Ville de Roubaix

Résumé : Depuis 1976, une place particulière est donnée à Roubaix aux populations issues de l’immigration dans une instance de concertation dénommée à l’époque « Commission Extra Municipale des Populations Immigrées » (CEMPI). A défaut du droit de vote aux élections locales, les élus de la Ville de Roubaix avaient voulu offrir aux communautés issues de l’immigration un cadre public et organisé leur permettant une prise de parole publique sur leur vécu, leurs expériences et leurs envies d’agir pour l’intérêt commun. Le CEMPI est devenu le Conseil Roubaisien de l’Interculturalité et de la Citoyenneté (CRIC). Les rencontres régulières dans le cadre d’une instance de concertation permettent une collaboration permanente entre associations représentant les communautés étrangères ou oeuvrant pour la promotion de l’interculturalité et, dès lors, une interconnaissance poussée.

Ce cas d’école analyse au regard des droits culturels le fonctionnement du CRIC avec comme enjeu la volonté de rendre ces associations membres plus autonomes dans leurs projets collectifs.

Diagnostic partagé d’un territoire – N66

Observateur(s) : Justine Bouasria (contact)

Institution : Institut Régional de la Ville (IREV) Nord-Pas-de-Calais

Résumé : Plus qu’un simple état des lieux partagé par l’ensemble des participants, l’enjeu de ce projet de diagnostic participatif est de consolider et d’activer le réseau d’acteurs sur un quartier de la métropole Lilloise afin qu’émerge une dynamique collective en vue de formuler des défis aux acteurs et habitants du quartier. Le quartier est un territoire où se succèdent d’importantes problématiques et où l’unité des acteurs pour trouver des solutions n’est pas toujours effective.

Ce cas d’école analyse au regard des droits culturels le processus de mise en œuvre du diagnostic participatif et partagé impliquant une diversité d’acteurs et d’habitants sur un quartier de la métropole Lilloise.

DÉPLOIEMENT DE L’ANALYSE D’UN CAS

Récit de la pratique N45

« L’implication des habitants dans la démarche est obligatoire par la loi du 21 février 2014. La volonté politique est forte également quant à favoriser les dispositifs de démocratie participative dans la commune d’Hazebrouck.
Les tables citoyennes ont toujours lieu au Centre d’Animation du Nouveau Monde (CANM), elles se sont déroulées de janvier à juin 2015. La mise en place de l’instance citoyenne (le conseil citoyen), se fera en octobre 2015 et sera mise en place jusque décembre 2020 au minimum (fin de la démarche politique de la ville qui ne dure que 5 ans.)

– Deux réunions de mobilisation réunissant une centaine de personnes (11 et 12 décembre) afin que les habitants aient envie de participer aux tables citoyennes et qu’ils soient au courant de la démarche engagé dans leur quartier.
– Actions citoyennes (ex. fresque, reportage photos, intervention d’une troupe de théâtre)
– Deux tables mensuelles dédoublées (mercredi matin et jeudi soir) : tables rondes de deux heures qui réunissent cinq habitants (min) et deux partenaires (max) afin d’augmenter le temps de parole par habitants.

Les partenaires sont sollicités lors de réunions techniques qui ont lieu avant chaque table citoyenne. Les habitants sont sollicités par tracts distribués et par communication en direct à la sortie des écoles ou au centre social.
Les habitants peuvent participer à autant de tables citoyennes qu’ils souhaitent. Chaque table est thématique (Culture, jeunesse, sport, santé, développement économique, emploi, insertion, formation, logement, cadre de vie, sécurité routière, petite enfance et parentalité, mobilité et accessibilité). Ces thématiques permettent de reprendre l’ensemble des problématiques qui peuvent exister sur le territoire, identifiées lors de comités techniques, et d’apporter des éléments de résolution.
Un animateur extérieur à la mairie gère l’animation de ces tables (auto-entrepreneur).
Les élus de la ville (principalement le maire et l’adjoint en charge de la politique de la ville) viennent « ouvrir » les tables citoyennes (discours introductif) et repartent pour que les habitants puissent s’exprimer en toute liberté. Les élus reviennent deux heures plus tard (remerciement, rappel des prochaines dates).

Production de deux pages sur les propositions élaborées et publication dans « l’écho citoyen ».
– Organisation d’une dernière table citoyenne appelée « réunion de validation », afin que les habitants puissent hiérarchiser les propositions qu’ils ont émises à l’aide de gommettes (3 gommettes = urgent, 2 gommettes = important mais peut attendre, 1 gommette = secondaire, 0 gommette = aucun intérêt).

Résultat : 90 propositions réparties dans 10 domaines (Sécurité routière et voirie, Citoyenneté et médiation, Cadre de vie et propreté des espaces verts, Résidences et logements, Emploi et développement économique, Jeunesse et éducation, Parentalité et petite enfance, Culture et Sports, Soins et Santé, Mobilité et Accessibilité)
Lorsque les propositions sont hiérarchisées, elles sont présentées aux élus qui font une réunion de validation en fonction des choix politiques. Ensuite les propositions validées par les habitants et la municipalité feront l’objet de fiches actions qui seront le socle du contrat de ville de la commune (contrat effectif de 2015 à 2020)
Afin que les habitants puissent évaluer l’efficacité du contrat et puissent s’assurer que la mairie respecte ses engagement, ils s’organiseront en une instance citoyenne : le Conseil Citoyen (15 personnes pour un quartier de 1 000 habitants, volontaires ou tirées au sort). Afin de respecter la loi, il est demandé qu’il y ait plus de personnes tirées au sort que de volontaires, et plus d’habitants (du quartier) que d’acteurs associatifs. Tirage au sort sur base de la liste électorale et liste des bailleurs sociaux ».

Article 3a
  • Tous les habitants du quartier peuvent participer aux tables citoyennes, les habitants en dehors du quartier également. Il n’y a pas eu de limite posée aux opinions exprimées.

Deux temps de parole différents pour maximiser la participation (merc. matin et jeudi soir)
Pas nécessaire de maîtriser l’écriture (1 partenaire anime et le 2nd retranscrit ce qui est dit) – en cas de problèmes de compréhension (langues, lecture) les partenaires aident.
Discrimination positive ou « logique de rattrapage » : les pouvoirs publics décident de mettre des moyens supplémentaires sur des quartiers en difficulté afin de réduire les inégalités territoriales. La démarche est par définition « stigmatisante » (les pouvoirs publics ont décidé des « quartiers prioritaires », frontières basées en fonction du revenu des habitants).
Problème des opinions non respectueuses de la loi ou des valeurs républicaines (propos raciste) atténué par la mobilisation en amont des tables citoyennes.

[Art. 3a – L’analyse tend à énoncer les conditions qui permettent aux habitants de participer en prenant en compte leurs modes de vie et ce qui pourrait venir freiner leur expression. L’analyse permet d’interroger ce que génèrent l’organisation et le déroulement des tables en termes d’assignation identitaire, places et rôles attribués]
Article 3b
  • En introduction, mise en situation favorisant l’expression par le photo-langage : émergence de la diversité des représentations et prise de conscience sur les priorités. La diversité renvoie à la pluralité des opinions conditionnées par les pratiques et les usages dans le quartier. Chacun en prend connaissance et respecte les considérations de l’ensemble des participants. La notion de culture est se qui permet le lien entre habitudes, besoins et préférences (chacun fait part de sa « culture d’usage » auprès des autres participants) : permet de comprendre dans quelle mesure les préoccupations individuelles peuvent être communes. Objectif recherché : favoriser la capacité d’agir des habitants.
[Art 3b – L’analyse rend compte de la diversité des représentations et modes de vie qui peuvent être exprimés. Elle permet d’approfondir les conditions à mettre en œuvre pour que la possibilité de s’exprimer soit garantie (usages minoritaires ou hors usages de la culture dominante – usage d’une langue hors français par exemple)]
Article 3c
  • Le patrimoine culturel peut concerner ce qui apparait comme étant commun sur l’ensemble du territoire et qui ne relève pas de lieux ou encore d’édifices (ex. les pratiques comme théâtres, photographies, graffitis, portraits d’habitants…). Constat d’un déficit d’appropriation concernant les services et les lieux communs présents sur le territoire.
[Art. 3c – L’analyse tend à montrer l’intérêt qu’il y a à élargir la notion de patrimoine à d’autres éléments que ceux qui sont reconnus comme tels dans l’espace public – elle permet de saisir le lien qu’il y a à faire entre « patrimoines » et « politique »]
Article 4
  • Il s’agit de réunir l’ensemble des habitants concernés, afin de recueillir la parole de chacun dans l’objectif d’entendre les préoccupations propres à chaque public. C’est la raison pour laquelle différents aménagements ont été mis en place pour les tables (ex. garderie, deux créneaux horaires, accessibilité aux personnes en situation de handicap…)
[Art. 4 – L’analyse rend compte de la traduction du terme « communauté culturelle » dans la pratique : la communauté paraît renvoyer à la notion de « public » définie selon des catégories. Cela acception tend la dénuer son aspect politique]
Article 5
  • Une dynamique est enclenchée. Certains habitants relaient les informations. Cela traduit une certaine appropriation de la démarche par les habitants. Mise en place d’un phasage permettant de respecter les différents temps dévolus à la concertation (mobilisation/ consultation – discussion libre et débats/ décision – priorisation des enjeux / Restitution). Campagne visuelle (flyers, affiches) et animation soutenant la démarche. La sélection des propositions se fonde sur leurs récurrences.
[Art. 5 – L’analyse rend compte de conditions mises en œuvre pour que les habitants participent. L’appropriation de la démarche est traduite par le fait que les habitants relaient l’information – comment cette information est-elle produite ? est-elle libre et pluraliste ? – art. 7 – Quelle place les habitants ont-ils dans la définition des cadres de ce à quoi ils participent ?]
Article 6
  • Acquisition de compétences sociales (prise de parole, écoute, formulation d’un problème). Formation des habitants à la prise de paroles (école de rénovation urbaine) ainsi qu’à la prise de décisions. Meilleure connaissance des bailleurs sociaux par des rencontres favorisant le dialogue entre les partis. Possibilité pour les habitants de devenir des relais auprès de la ville. A terme, une autonomie du conseil citoyen est souhaitable et envisageable.
[Art. 6 – L’analyse rend compte des conditions mises en œuvre pour que les acteurs impliqués se forment à la prise de décision démocratique – reste à savoir comment ces décisions sont prises en compte par les politiques publiques – Art.5]
Conclusion

RESSOURCES

  • « Du droit à la culture aux droits culturels. Une première année d’observation et d’évaluation des politiques publiques départementales au regard des droits culturels », Publication Paideia, 2013.
  • « Itinéraires. Du droits à la culture aux droits culturels, un enjeu de démocratie », Publication Paideia, 2015.
  • « Ouvertures de chantiers, développer les droits culturels dans le champ du social, la lecture publique et le numérique, les patrimoines, mémoires et paysages, l’éducation et la jeunesse », Publication Paideia, 2016.
  • Collin J-D., « Une révolution symbolique », in Du droit à la culture aux droits culturels, Publication Paideia, 2013, p. 62
  • L’Herminier R., « Une administration de citoyens », in Itinéraires, 2015, p. 14
  • Meyer-Bisch P., Bidault M., Déclarer les droits culturels. Commentaire de la Déclaration de Fribourg. Zurich, Bruxelles, Schulthess, Bruylant, 2010.
  • Meyer-Bisch P., « Innover dans les politiques publiques en réalisant les droits culturels », in Du droit à la culture aux droits culturels, Publication Paideia, 2013, p. 21
  • Meyer-Bisch P., « les droits culturels fondent une observation interactive », in Itinéraires, Publication Paideia, 2015, p. 54
  • Meyer-Bisch P., « Démocratie, droits culturels et espaces dialectiques », in Itinéraires, Publication Paideia, 2015, p. 60
  • Meyer-Bisch P., « En situation de crise, qu’est-ce qui est capital ? », in Itinéraires, Publication Paideia, 2015, p. 102
  • Meyer-Bisch P., « En situation de crise, qu’est-ce qui est capital ? », in Itinéraires, Publication Paideia, 2015, p. 102
  • Meyer-Bisch P., « Du « vivre ensemble » au « vivre en intelligence », comprendre le potentiel social des droits culturels », in Ouvertures de chantiers, 2016, p. 10
  • Naudé N., « La place du travail dans la vie des femmes », in Du droit à la culture aux droits culturels, Publication Paideia, 2013, p. 53
  • Gallet C., « Témoignages », in Du droit à la culture aux droits culturels, Publication Paideia, 2013, p. 32
  • Renard S., « Un levier pour rendre acteur », in Ouvertures de chantiers, Publication Paideia, 2016, p. 97
  • Vieilleville A., « Livre à vous », in Du droit à la culture aux droits culturels, Publication Paideia, 2013, p. 51
  • Vieilleville A., « Développer la citoyenneté des adolescents », in Ouvertures de chantiers, Publication Paideia, 2016, p. 98
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